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La prévoyance professionnelle en Suisse

Les deux premiers piliers suisses forment une annuité qui vous protège contre le risque de longévité, mais ne surchargez pas votre deuxième pilier au moment de la retraite.

Cet article traite des spécificités suisses des fonds de pension et n’est pas utile dans son ensemble à tous les lecteurs qui pourront survoler la première partie. La dernière section sur la “La rente professionnelle dans le cadre de votre patrimoine” peut cependant donner des informations utiles à toute personne souhaitant intégrer l’impact de sa retraite professionnelle dans une gestion de fortune exhaustive.

Qui est assuré au sein de la prévoyance professionnelle

Contributions

La prévoyance professionnelle (la LPP), correspondant au deuxième pilier, est obligatoire pour les salariés déjà soumis au régime étatique des retraites (l’AVS) et touchant un revenu de plus de 21’510 francs (2021).

Le deuxième pilier repose sur une épargne individuelle. Cet épargne commence lorsque l’assuré atteint l’âge de 25 ans et cesse lorsque celui-ci arrive à l’âge de la retraite. L’avoir accumulé par l’assuré sur son compte individuel au fil des années d’assurance sert à financer la rente de vieillesse. Le capital constitué est alors converti en rente de vieillesse annuelle au moyen d’un taux de conversion actuel de 6,8 %. Ce taux s’applique à la partie obligatoire et vous bénéficierez seulement d’un taux légèrement inférieur pour la partie surobligatoire (perçue sur la part du salaire annuel supérieur à CHF 85’320. 

Prestations

Selon la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) et comme dans le 1er pilier, la prestation de vieillesse peut être perçue avant d’atteindre l’âge ordinaire de la retraite. Toutefois, l’assuré ne peut prendre une retraite anticipée que si le règlement de l’institution prévoit expressément cette possibilité. L’âge minimum pour la retraite anticipée est fixé à 58 ans. En cas de retraite anticipée, les prestations de vieillesse sont réduites : l’avoir de vieillesse théorique n’étant pas entièrement constitué, un taux de conversion inférieur est appliqué au calcul de la rente de vieillesse.

Le capital constitué en vue des prestations de vieillesse est appelé avoir de vieillesse. Cet avoir est constitué des bonifications de vieillesse annuelles, sur lesquelles un taux d’intérêt de 1 % (depuis 2017) au minimum est appliqué. Celui-ci a été en baisse constante ces dernières années (1,25 % en 2016 et 1,75 % en 2015).

A noter également que la baisse des taux d’intérêt techniques des caisses de pension devrait par contre avoir atteint son plancher. Le taux d’intérêt technique est utilisé pour actualiser les prestations futures et doit être choisi de manière à pouvoir être financé par le rendement des actifs. Atteindre un rendement annuel de 1,5 ou 1,75% sur les investissements devrait être possible à long terme, même en Suisse et ce taux technique ne devrait pas baisser davantage.

Situation des fonds de pension

Performance des fonds de pension

Les fonds de pension ont bien traversé la crise due à la pandémie. Les marchés des capitaux s’étaient retrouvés dans un “état de confusion” durant la crise du Coronavirus, avec l’effet des politiques fiscales et monétaires expansionnistes. L’ancien président de la BCE, Mario Draghi, avait en effet déjà donné le ton en 2012 avec sa déclaration “Whatever it takes” et ouvert les valves d’une création sans de monnaie sans précédent en Europe, contre laquelle la Suisse ne pouvait résister.

Dans un tel environnement, les investissements en actions ont fortement augmenté de valeur et comme beaucoup d’entre nous, les fonds de pension en ont profité en proportion de leur exposition aux marchés boursiers. L’afflux d’argent des banques centrales a fait grimper les cours des actions et les prix de l’immobilier – et les fonds de pension suisses en ont également profité. Il faut cependant rester prudent et ne pas oublier qu’on peut aussi perdre de l’argent avec des actions, même à long terme. L’indice Nikkei 225 avait culminé à plus de 38 000 points en 1989 et n’a plus jamais atteint ce niveau avec des pertes significatives, même pour les investisseurs en action à long-terme.

De nombreux fonds de pension détiennent également une forte proportion d’obligations d’État dans leurs portefeuilles. Ces actifs permettent de stabiliser le fonds mais conduisent à des performances faibles durant ces marchés haussiers. Ces obligations impliquent de fait des pertes pratiquement garanties jusqu’à l’échéance, situation dictée par des taux d’intérêt ultra-bas. Ceci impactera sans aucun doute les performances des fonds de pensions à l’avenir, tout comme les très large en réalisations immobilières en périphérie (pour lesquels trouver suffisamment de locataires pourrait se révéler difficile) par les fonds de pension.

En 2021, la chambre basse du parlement suisse (Conseil national) a adopté une motion qui veut donner aux caisses de pension une plus grande marge de manœuvre en matière de placement. En contrepartie, la motion exige davantage de compétences financières de la part des conseils de fondation des fonds de pension, afin de mieux gérer les risques de ces investissements plus volatiles.

Supervision des fonds de pension

La consolidation des caisses de pension est une tendance à long terme et devrait continuer. En 1987, il y avait encore plus de 4000 caisses de pension enregistrées avec des assurés exerçant une activité professionnelle. Aujourd’hui, il y en a moins de 1500, et d’ici la fin de la décennie, il pourrait y en avoir moins de 1000. Ceci se reflète dans le volume d’investissement: les petits fonds ne représentent qu’un bon 2 % de la gestion alors que les plus grosses caisses de pension dont les actifs sont supérieurs à un milliard de francs suisses représentent plus de 80 % des avoirs gérés.

Aujourd’hui, la grande majorité des fonds de pension bénéficient d’une prévoyance professionnelle auprès d’une fondation collective ou d’une caisse de pension communautaire par le biais de leur employeur. Cette consolidation peut augmenter l’efficacité dans certaines circonstances et compense certainement la perte de la proximité de l’institution de retraite avec “leurs” entreprises.

En 1976, Peter Drucker avait prévu que les fonds d’épargne-retraite deviendraient un jour les propriétaires majoritaires des moyens de production mondiaux, c’est-à-dire des entreprises. Une professionnalisation et une meilleure organisation de ces fonds est donc nécessaire pour tirer le meilleur parti du pouvoir obtenus par les fonds de pension. Ainsi, tout bon fonds de pension devrait posséder les carachtéristiques suivantes:

  • Organisme de retraite autonomes avec des missions claires ;
  • Fonctions de gouvernance fiduciaire solides et sans conflit d’intérêt;
  • Accès aux ressources dont ils ont besoin pour réussir.

À ce jour, force est de constater que les petits fonds se trouvent loin de cet idéal et ont encore des lacunes flagrantes : les conseils de fondation des fonds de pension travaillent à temps partiel et doivent souvent acquérir eux-mêmes la compétence professionnelle !

La prévoyance professionnelle est obligatoire et très importante, mais la loi n’impose aucune exigence formelle aux gestionnaires des fonds de pension. L’éducation et la formation sont bien requises par la loi et il existe de nombreuses offres de formation, mais l’accomplissement de ce mandat reste à la discrétion de chaque individu. Il n’est par exemple pas nécessaire de disposer d’une expertise en matière de pensions ni d’un savoir-faire en matière d’investissement, malgré la grande responsabilité et les conséquences en cas de faute. Les conseils de fondation ont par exemple une responsabilité personnelle illimitée en vertu de la loi pour les dommages causés à l’institution de prévoyance intentionnellement ou par négligence.

Heureusement, les comptes des fonds de pension doivent être acceptés par les auditeurs indépendants et les obligations en matière de pension doivent être comptabilisées conformément aux recommandations et aux calculs actuariels de l’expert agréé en matière de fonds de pension. Les experts actuariels sont mandatés par chaque fonds de pension et leurs calculs tiennent compte de l’espérance de vie des assurés et du nombre de retraités et de salariés.

En plus des actuaires et des auditeurs, l’autorité de surveillance veille à ce que les organes non professionnels restent sur la bonne voie, mais cette surveillance reste limitée : Lors de la création d’une institution de prévoyance ou de remplacement des membres du conseil de fondation d’une caisse de pension, les autorités de surveillance exigent des documents sur les membres désignés du conseil de fondation, tels l’expérience professionnelle et les extraits actuels du casier judiciaire et du registre des poursuites. En cas de circonstances flagrantes uniquement, l’autorité de surveillance examine la situation et les personnes de plus près, mais intervient rarement.

Prévisions des rentes

De nombreux fonds de pension suisses ont baissé leurs prévisions de rentes de retraite au cours des dernières années. La raison en est les taux d’intérêt négatifs ainsi que l’évolution démographique. Depuis la dernière enquête rapportée par la NZZ en 2021, les taux de conversion attendus par les professionels n’ont pas diminué davantage et ont stagné à une moyenne d’environ 5,2 % (au lieu du 6.8 % actuel pour la part obligatoire et du 5.5% en moyenne pour tous les avoirs du deuxième pilier). Ainsi, si vous disposez d’un capital de 500’000 CHF dans votre prévoyance professionnelle au moment de la retraite, vous recevriez une rente annuelle de 26’000 CHF avec ce taux de conversion attendu. Les pensions de retraite projetées ont ainsi stoppé leur tendance négative après une longue baisse. En effet, des taux de conversion inférieurs à 5 % rendraient le deuxième pilier très peu attractif et à moins d’une refonte coercitive du système interdisant les sorties de capital du deuxième pilier, elle est à considérer comme la limite inférieure à ne pas dépasser.

Quelques mots sur le plan 1e

Le pilier 1e fait techniquement partie du deuxième pilier, c’est-à-dire de la prévoyance professionnelle. À part les prestations obligatoires de la prévoyance professionnelle, les prestations surobligatoires dont fait partie le plan 1e, permettent de choisir sa stratégie de placement pour la part de salaire dépassant 127’980 francs, donc pour des individus salariés ou indépendants au revenu confortable. Les employés ne peuvent cependant pas choisir d’investir dans un plan de prévoyance 1e, même avec un salaire supérieur à cette limite. Comme il appartient uniquement à votre l’employeur de fournir un plan 1e à ses employés ou non, renseignez-vous donc en vue de voir si vous y avez accès.

Les plans 1e sont proposés par des institutions de prévoyance qui assurent exclusivement cette partie du salaire en proposant différentes stratégies de placement selon le profil de risque individuel et la situation patrimoniale des assurés. Les entreprises proposant ces plans profitent des avantages suivants: elles peuvent proposer des solutions de prévoyance attrayantes pour leurs cadres et limitent leurs risques à l’égard des caisses de pensions (pas besoin de compenser une éventuelle sous-couverture ni de constituer des réserves de fluctuations pour la caisse de pension).

Le succès de cette forme de prévoyance indique que la confiance dans le deuxième pilier demeure (peut-être davantage que dans le pilier 3a avec ses montants limités). Le plan 1e constitue cependant un corps étranger dans le deuxième pilier et le signe d’une individualisation de la prévoyance (et pour certains un manque de solidarité) : il est ainsi attaqué par la gauche avec véhémence comme un privilège réservé aux cadres de grandes compagnies.

La rente professionnelle dans le cadre de votre patrimoine

Au vu des blocages dans les réformes et de l’accroissement de la durée de vie, on peut s’attendre à ce qu’il y ait de nouvelles réductions des rentes de la prévoyance professionnelle dans les années à venir. Il est pratique d’avoir une bonne pension fixe sous la forme du premier et du deuxième pilier. Mais comme leur niveau par rapport au renchérissement sera probablement inférieur à ce qui est prévu aujourd’hui, il vaut mieux cotiser partiellement au 2e pilier en vue d’avoir une rente de base minimale (par exemple avec 28’000 provenant du premier et 50’000 du deuxième pilier). À titre illustratif, ceci correspondrait à un capital accumulé d’environ CHF 700’000 sur le deuxième pilier. Les deux piliers formeront ainsi une annuité qui vous protège contre le risque de longévité (c’est-à-dire que vous éviterez d’épuiser toutes vos ressources avant de quitter ce monde) ; par contre, vos héritiers ne toucheront pas un centime en cas de décès et vous ne pouvez pas disposer de ce capital en toute liberté. Ne surchargez donc pas votre deuxième pilier ou ne le remplissez pas forcément au maximum car la partie surobligatoire offrent des rentes inférieures. Utilisez-en par exemple une partie pour amortir l’hypothèque de votre maison et investissez-en vue de bâtir votre propre patrimoine (si votre situation le permet, considérez également les possibilités des plans 1e). Vous êtes peut-être pris en sandwich entre l’absence d’accès au plan 1e réservé aux salaires importants et un salaire quand même trop haut pour prétendre à d’autres prestations (ni assez riche, ni trop pauvre), comme beaucoup d’individus de la classe moyenne. Pour vous un investissement immobilier et un portefeuille progressivement accumulé selon l’approche et les outils de référence de ce site est la solution de choix face aux défis de la prévoyance.

Sources: 
Trend der sinkenden Renten gestoppt, 27.10.2021, Neue Zürcher Zeitung 
https://www.ch.ch