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Quelle gestion de portefeuille en cas d’inflation ?  

Si les actions souffrent en cas d’inflation extrême, elles offrent toujours une protection acceptable en cas d’inflation limitée. Ne révolutionnez donc pas votre portefeuille malgré les nouveaux risques d’inflation.

La récente hausse des prix est-elle temporaire ou va-t’elle s’installer ?

En Amérique comme en Europe, chacun a constaté la hausse des prix ces derniers mois, particulièrement de l’énergie ou du matériel de construction. Ces hausses de prix (inflation) représentent une augmentation du niveau moyen global des prix d’une économie. Le taux d’inflation américain a récemment atteint 5 % – du jamais vu ces 12 dernières années – ce qui indique que les prix augmentent généralement et que le pouvoir d’achat du dollar américain diminue. On constate le même phénomène en Europe, avec des disparités très grandes entre les pays qui ont connus des augmentations mesurées ou plus extrêmes dans certains segments de prix. On parle d’un régime inflationniste lorsque l’inflation s’accélère, et lorsque son niveau atteint 5% ou plus par année. Le monde développé n’a ainsi pas connu une telle situation depuis des décennies. L’expérience et les données récentes limitées rendent donc difficile la conception d’un portefeuille face à un risque d’inflation élevé.

Les décideurs politiques font souvent la distinction entre les chocs d’inflation temporaires et ceux de plus longue durée. La Fed et la BCE considèrent ainsi que l’inflation induite par la pandémie est simplement temporaire. Cependant, les autorités monétaires n’ont pas toujours été des référents de confiance pour les investisseurs et les “chocs” de prix importants n’ont pas tendance à se produire, ni à se résoudre, du jour au lendemain. Certains facteurs de risques indiquent que cette inflation pourrait s’inscrire dans la durée et la poussée actuelle pourrait ne pas se résorber aussi rapidement que souhaité par les autorités monétaires.

Sérieux risques d’inflation pour 2021 et 2022

La question la plus importante en matière d’investissement cette année est de savoir si l’inflation galopante du moment est temporaire, comme le soutiennent les banques centrales, ou si elle marque un tournant historique.

Selon l’étude publiée cet été dans le “Journal of Portfolio Management” (voir source) trois facteurs suggèrent un risque d’inflation plus élevé en 2021 :

  1. L’augmentation massive de la création monétaire. La masse monétaire américaine (M2) est passée de 15,5 à 19,7 trillions de dollars entre février 2020 et février 2021. La plupart des banques centrales des pays développés ont également contribué à l’augmentation massive de la monnaie en circulation.
  2. La politique fiscale expansive extraordinaire post-pandémie: En relation aux dépenses politiques énormes causées par la pandémie aujourd’hui, il n’y a eu que deux autres cas d’années consécutives de déficit à deux chiffres dans l’histoire récente des États-Unis (Première et Deuxième Guerre mondiale).
  3. Le marché obligataire signale une augmentation de l’inflation, car les rendements à long terme ont récemment augmenté.

Ces risques découlent en grande partie des réactions des autorités politiques et semi-étatiques suite à la pandémie et l’inflation à long terme apparaît désormais plus probable.

Réaction des classes d’actifs face à l’inflation dans l’histoire récente

Le cœur de l’intéressante étude publiée cet été dans le “Journal of Portfolio Management” a analysé les investissements les plus performants sur différents marchés et dans différentes classes d’actifs.

Bien qu’il soit impossible de prédire l’inflation avec précision, un examen des données sur les investissements les plus performants durant les périodes d’inflation passées donne une bonne orientation pour le positionnement d’un portefeuille en cas d’inflation élevée :

  • Les matières premières ont des rendements positifs pendant les poussées d’inflation, mais cela dépend beaucoup des types de matières premières. Il s’agit d’une classe d’actifs tellement diversifiée que certaines évoluent étroitement avec l’inflation, d’autres moins. Le problème avec les matières premières est qu’à moins d’être un professionnel du secteur, elles doivent être achetées par le biais de contrats à terme (principalement futures), dont les rendements à long terme dépendent souvent davantage de la différence entre les différents prix à terme que de la matière première sous-jacente.
  • Les actions peuvent offrir une certaine protection contre l’inflation du point de vue du financement (parce que les obligations de l’entreprise en matière de dette se réduisent en termes réels) et du point de vue des revenus (les prix des produits peuvent être ajustés à l’inflation). En cas d’inflation extrême, les actions souffrent cependant d’un climat économique moins stable, associé à une faiblesse économique future. Une très forte inflation est donc généralement considérée comme négative pour les actions, car elle augmente les coûts d’emprunt et de production (matériaux, main-d’œuvre) des entreprises, ce qui se traduit par une baisse de la croissance attendue des bénéfices.  Cette incertitude économique nuit à la capacité des entreprises à planifier, investir et développer des partenariats à plus long terme. Par conséquent, les coûts ont tendance à augmenter avec l’inflation plus que les prix de vente. En outre, aucun secteur d’actions n’offre une protection significative contre une inflation élevée et croissante ; même le secteur de l’énergie est historiquement à peine positif en termes réels en cas de très forte inflation.
  • Enfin, les titres souverains avec protection contre l’inflation (TIPS) sont robustes lorsque l’inflation augmente, ce qui leur donne l’avantage de générer des rendements réels similaires en régime inflationniste et non inflationniste, les deux étant positifs. Le principal des TIPS s’apprécie lorsque l’inflation augmente – mais diminue dans les environnements déflationnistes, tels que mesurés par l’indice des prix à la consommation. Pendant les périodes d’inflation, les TIPS peuvent fournir des rendements supplémentaires et une protection à un portefeuille si les prix des actions et des obligations traditionnelles baissent en termes réels. Les TIPS sont disponibles en durées de 5 à 30 ans.

Quelles classes d’actifs pour les investisseurs privés en période d’inflation ?

La meilleure façon de se protéger contre l’inflation, qui se produira certainement d’une forme ou d’une autre, est de placer son argent – et le plus tôt sera le mieux. Si vous êtes d’accord avec l’hypothèse que l’inflation durable est plus probable que l’inverse, il est important d’agir, car les obligations ordinaires sont de très mauvais investissements en cas de forte inflation, tandis que les actions dans leur ensemble ont été médiocres.

Faut il investir aujourd’hui en matières premières contre l’inflation

En période d’inflation extrême, des distorsions apparaissent pour tous les acteurs du marché. L’étude (voir sources) a confirmé la connaissance commune que la meilleure performance historique est observée pour les matières premières. Cependant, il s’agirait d’un investissement spéculatif avant qu’une inflation généralisée et persistante ne se manifeste et les matières premières ne versent aucun dividende. En tant que tel, vous devriez généralement les éviter, sauf si vous avez une connaissance très spécifique ou si vous êtes un professionnel d’un secteur particulier des matières premières. Comme recommandé par le Boglehead Rick Ferri, évitez donc les matières premières comme elles représentent un investissement spéculatif et ne vous dégagent pas de revenus.

L’or est-il une bonne potection contre l’inflation ?

L’or, historiquement, s’est bien comporté lorsque l’inflation est élevée, conservant sa valeur même dans les pays où l’inflation a grimpé à deux chiffres. Des milliers d’années d’histoire lui apportent des arguments solides (si vous avez la possibilité, lisez l’excellent livre de Peter Bernstein – The Power of Gold: The History of an Obsession), mais il est possible que la ruée vers le bitcoin perturbe en partie son pouvoir stabilisateur. De plus, le prix élevé de l’or et l’absence de rendement n’en font pas un candidat judicieux pour les investisseurs.

Faut-il s’endetter en période d’inflation?

Comme les matières premières, l’immobilier a toujours été considéré comme une couverture contre l’inflation. Il s’agit d’un actif tangible qui tend à conserver sa valeur lorsque l’inflation est prévalente. La hausse des prix entraîne une augmentation de la valeur des biens et des loyers, ce qui accroît le montant des revenus locatifs et la valeur comptable des biens. Par contre si le marché anticipe correctement l’inflation ou si d’autres facteurs font augmenter les prix, comme c’est le cas dans beaucoup de villes en Europe et aux Etats-Unis, il n’y a pas d’argent supplémentaire à gagner en pariant sur cette inflation et en spéculant en immobilier, en particulier au niveau de prix élevés actuels. A l’inverse d’une stratégie en obligation, une option serait de prendre l’autre côté de l’équation et de devenir emprunteur au lieu de prêteur.  En souscrivant une hypothèque à taux fixe de 30 ans, vous aurez également une option gratuite de refinancement si l’inflation n’arrive jamais et que les rendements chutent. Si l’inflation arrive en force, votre dette sera réduite en termes réels. Soyez par contre prudent avec l’endettement qui ne s’accompagnent pas d’un projet immobilier raisonnable et solide.

Quelle est la meilleure stratégie actions en cas d’inflation

  • Si l’on s’attend à ce que les bénéfices d’une société en zone de forte inflation diminuent, les investissements hors de cette zone peuvent couvrir un portefeuille essentiellement exposé à cette zone (par exemple américaine) et capter les rendements potentiels des marchés mondiaux où l’inflation ne sera peut-être pas aussi élevée. L’investisseur pourra ainsi profiter des bénéfices de la diversification des marchés mondiaux.
  • Les actions des mineurs, des foreurs de pétrole et d’autres producteurs de matières premières n’ont pas fait aussi bien que les prix des matières premières pendant les périodes d’inflation dans le passé, mais ont tout de même surperformé le reste du marché des actions. Le cuivre et le pétrole ont augmenté de plus de 30 % cette année et le bois d’œuvre a presque doublé, tandis que les actions des sociétés minières mondiales et des grandes compagnies pétrolières ont fortement battu les indices plus larges. Ces sociétés ont déjà vu leur prix augmenter en anticipation de leurs bénéfices et les véhicules d’investissement spécifique sont souvent plus onéreux. Même les ETFs aux commissions avantageuses ont vu leur valeur fortement augmenter (+103.4% pour le Vanguard Energy ETF avec un expense ratio avantageux de 0.1%). Il ne semble donc pas valoir la peine d’y investir spécifiquement à ce jour, la forte hausse des prix de l’énergie ayant déjà été intégrée le prix des sociétés. Vous arriveriez probablement déjà trop tard à la fête.
  • Les valeurs de croissance (growth, big tech) promettent des bénéfices plus importants dans un avenir lointain et semblent donc moins intéressantes dans un environnement inflationniste. Cela constitue des arguments pour les investissements en valeur qui ne s’achètent pas à une cote aussi élevée que les growth. De plus. lorsque les prix augmentent partout, les entreprises plus faibles et moins populaires peuvent également pratiquer des prix plus agressifs, et le pouvoir de fixation des prix devient moins important. Selon Ben Funnell (Man Group), les actions de ces entreprises plus faibles ont surperformé pendant les trois premiers quarts de chaque épisode inflationniste aux États-Unis, puis largement sous-performé en période de fin d’inflation. Ainsi, si les entreprises de valeur et les sociétés plus faibles ont un potentiel de protection contre l’inflation, ils nécessitent une surveillance active.

Les obligations et les TIPS sont-ils envisageables en période d’inflation?

Les actifs qui reposent sur de longues échéances seront touchés par les craintes croissantes d’une spirale inflationniste, et ceux qui ont des rendements fixes – les obligations – seront les plus susceptibles d’être touchés par l’inflation. Il s’agit en principe de privilégier des actifs à courte duration.

Une solution serait les TIPS, mais leur rendement est cependant très bas et la faible probabilité actuelle d’une inflation très élevée rend ce type d’investissement peu attrayant, du moins dans les mois à venir et à ce niveau de prix. De plus, ils sont très chers, les TIPS à 10 ans payant 0,9% de moins que l’inflation. Une alternative limitée : Les investisseurs individuels américains peuvent et surtout devraient avoir le maximum de 10’000 dollars par an en obligations d’épargne du Trésor de série I, dont le taux d’intérêt s’ajuste à l’inflation, mais ne descend jamais en dessous de 0%.

Derniers conseils pour la gestion de portefeuille post-pandémie

En continuant d’investir pendant l’inflation, vous devez vous assurer de préserver le pouvoir d’achat de votre portefeuille et continuer à faire fructifier votre pécule. Vous devez continuer à suivre les principes de diversification : Répartir le risque sur une variété de titres par le biais d’ETFs est une méthode traditionnelle de construction de portefeuille qui s’applique aussi bien aux stratégies de lutte contre l’inflation qu’aux stratégies de croissance des actifs. Ainsi, vous ne vous détournerez pas de vos objectifs à long termes en effectuant quelques ajustements mineurs sur certaines catégories.

Historiquement, étant donné que le suivi des tendances offre la protection la plus fiable lors de chocs inflationnistes importantsil ne faut pas anticiper trop tôt en investissant massivement dans des matières premières spéculatives sans dividende ou des TIPS à faible rendement, puisqu’il n’est pas encore certains que cette inflation s’installe fortement et durablement. Un compromis entre votre stratégie et ce qu’exigerait l’inflation est inévitable, car il n’y a aucun portefeuille parfait qui fonctionne si l’inflation apparaît et évite la casse si elle ne se matérialisait pas. Ne révolutionnez pas votre portefeuille malgré ces nouveaux risques.

Si les actions souffrent en cas d’inflation extrême, elles offrent toujours une protection acceptable en cas d’inflation limitée. Comme aucun secteur n’offre une couverture parfaite, vous ne devriez pas avoir besoin d’investir dans un ETF sectoriel spécifique avec des coûts supplémentaires. En cas d’inflation élevée, l’augmentation des taux d’intérêt entraînerait un coût de capital plus élevé dans les valorisations et réduirait tous les prix des actions sans exceptions: Des ETFs diversifiés restent donc le choix à privilégier pour les investisseurs privés avec une orientation valeur (voir conseils pratiques).

En résumé, il ne s’agit pas de modifier votre cap malgré ces risques qui se matérialisent, mais de bien suivre la situation et d’effectuer quelques ajustements comme limiter les stocks growths (dont les prix sont à des niveaux extrêmes) et passer à plus de valeur : En exemple, le VT value (VTV) de Vanguard a un P/E de 17.5, un P/B de 2.7 pour un expense ratio de 0.04 mais il n’investi que dans des sociétés US. La version internationale est trop chère à 0.35% pour Vanguard et 0.30% pour son équivalent de iShares. Un ETF mondial permet une exposition internationale et permet une bonne diversification de votre portefeuille, que vous soyez Européens ou Américains, mais la plupart subissent des distortions au vu des prix élevés des actions de croissance (growth).

Ainsi, les risques d’inflation ne doivent jamais faire la loi sur votre gestion de portefeuille. Si vous avez des objectifs ou des calendriers spécifiques pour votre plan d’investissement, ne vous en écartez pas. Ainsi n’alourdissez pas trop votre portefeuille avec des TIPS. N’achetez pas d’actions de croissance à long terme et privilégier les actions diversifiées en valeurs (par exemple avec le VTV dans le cas où votre exposition au marché US serait trop basse, ce qui est un cas rare). Une obsession de l’inflation ne devrait jamais vous faire sortir de votre zone de tolérance au risque ou vous amenez dans des territoires dangereux comme les matières premières. Continuez votre diversification internationale, avec une petite tendance value si votre situation le permet (voir “maintenir le cap”).

Source : The Best Strategies for Inflationary Times, The Journal of Portfolio Management août 2021, 47 (8) 8-37, Henry Neuville, Teun Draaisma, Ben Funnell, Campbell Harvey et Otto van Hemert