Categories
Français Gestion de portefeuille

Faut-il considérer les devises en investissant en actions?

Basé sur les valorisation des actions, mais aussi des devises, l’investisseur global macro privé pourra construire un portefeuille d’ETFs diversifiés.

Pourquoi considérer les devises lors d’investissements en actions

Nous sommes tous surpris des mouvements parfois massifs des monnaies de référence. Il était par exemple frappant de voir la livre sterling si onéreuse au début du siècle propulsé par une forte économie britannique, avant de s’effondrer après le vote du Brexit.

Il s’agit parfois de conséquence de choc, comme la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, mais il existe de nombreuses autres anomalies sur les marchés. Si vous investissez séparément dans des marchés géographiques (et non pas en un seul véhicule / fonds mondial) , il pourrait s’avérer judicieux de capturer le désalignement des devises qui devrait se corriger avec le temps, lorsque les fondamentaux finissent par se réaffirmer.

Ces désalignements peuvent produire des gains pour l’investisseur à long terme, mais attention à ne pas adopter de techniques ruineuses tels que la spéculation en forex ou CFD. En effet, le trading technique est difficile à court terme, et encore plus dangereux avec un effet de levier. Malgré leur volatilité, les devises ne se comportent pas de manière complètement aléatoire dans le temps avec un niveaux d’équilibre, autour duquel les prix des devises fluctuent à court terme. Pour un investisseur privé, un investissement basé sur un niveau d’entrée dans une devise doit donc être considéré dans une perspective sur la juste valeur à long terme uniquement.

Prévision d’un équilibre à long-terme: Les bases théoriques

La théorie des marchés efficients prédit que les prix reflètent pleinement toutes les informations pertinentes même si les fluctuations de prix peuvent être déconnectées des fondamentaux à différents moments. Shiller, dans son discours de remise du prix de la banque centrale de Suède (qui n’est pas un prix Nobel!), a ainsi fait valoir que si les rendements financiers sont difficiles à prévoir à court terme en raison de la concurrence des échanges, ils sont plus fiables sur le long terme, car il y a plus de temps pour un retour à la moyenne, c’est-à-dire de sortir de zones extraordinaires.

Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale américaine, a fait remarquer qu'”après avoir tenté de prévoir les taux de change pendant plus d’un demi-siècle, j’ai naturellement développé une grande humilité quant à mes capacités dans ce domaine”. Les taux de change sont complexes à comprendre à évaluer car il n’existe pas de modèle simple et robuste sur lequel les investisseurs peuvent s’appuyer pour évaluer le niveau et les mouvements probables des taux de change. Beaucoup d’amateurs moins bien préparé et moins réaliste qu’Alan Grenspan se sont déjà brulé les doigts à prévision des taux de change à court-terme.

La majorité des spécialistes académiques du domaine pensent qu’il existe un niveau vers lequelle une monnaie gravitera à long terme. Les forces fondamentales devraient finalement ramener la monnaie vers ce niveau relatif, malgré des écarts importants à court et moyen terme. Il existe ainsi des signaux que le lecteur pourra utiliser pour mieux comprendre la valeur d’équilibre à long terme.

Facteurs affectant les prix de devises à long-terme

De nombreux modèles se sont penchés sur les déterminants des taux de change: certains facteurs ont parfois des interdépendances entre eux, et des effets contraires et opposés sur les taux. L’investisseur privé notera que les principaux déterminants suivants se vérifient rarement à court ou à moyen terme, mais sont une bonne orientation à long-terme:

  • Inflation: Les pays dont les taux d’inflation attendus sont élevés (faibles) devraient voir leur monnaie se déprécier (s’apprécier) au fil du temps (conditions de parité internationale). Selon l’effet Fisher, l’écart de taux d’intérêt nominal entre deux monnaies est égal à la différence entre les taux d’inflation attendus;
  • Taux d’intérêt des monnaies: Les monnaies à haut taux d’intérêt devraient se déprécier par rapport aux monnaies à un taux plus faible, même si une hausse attire des capitaux étrangers, ce qui augmente la demande et renforce la monnaie à court-terme;
  • Compétitivité des pays: Les pays qui enregistrent des déficits persistants de leur compte courant verront généralement leur monnaie s’affaiblir avec le temps (approche de la balance des paiements). A nouveau, des déséquilibres importants peuvent persister longtemps avant de déclencher un ajustement des taux de change. Les pays qui introduisent des réformes économiques structurelles augmentant leur productivité verront souvent leur monnaie se renforcer au fil du temps;
  • Politique monétaire stricte: Les pays qui mettent en place des politiques monétaires relativement strictes, verront souvent leur monnaie se renforcer au fil du temps;
  • Politique fiscale: Les pays qui réduisent leurs déficits budgétaires verront souvent leur monnaie se renforcer, mais il y aura des effets contradictoires: une politique budgétaire expansionniste entraîne généralement une hausse des taux d’intérêt nationaux et une augmentation de l’activité économique. La hausse des taux d’intérêt nationaux induit généralement un afflux de capitaux, ce qui est positif pour la monnaie nationale à court-terme, mais le ralentissement de l’activité économique contribue aussi à une détérioration de la balance commerciale, ce qui est négatif pour la monnaie nationale (Modèle de Mundell-Fleming).

Approches PPA de base

Les investisseurs s’appuient généralement sur la parité du pouvoir d’achat en comparant le taux de change effectif réel avec le pouvoir d’achat pour évaluer des anomalies. Une stratégie simple consisterait alors à comparer les taux des monnaies à leur pouvoir d’achat (selon la théorie de la parité de pouvoir d’achat – PPA). En mesurant combien une devise permet d’acheter de biens et services dans chacune des zones que l’on compare, on peut estimer les sur- et sous-évaluations.

Cette première approche n’est pas si simple qu’il n’y parait, car il existe différentes méthodes de calcul. Elle souffre également d’une vitesse de convergence lente. De nombreuses institutions financières et les traders en devise cherchent donc à ajuster les taux de changes effectifs réels afin d’obtenir des demi-vies plus courtes et une meilleure convergence.

Pour exprimer la vitesse de convergence, une mesure couramment utilisée est la demi-vie – le temps nécessaire pour que les écarts par rapport à la moyenne diminuent de moitié. Les économistes citent souvent des demi-vies de taux de change PPA d’environ 3 à 5 ans, alors que selon une estimation de la banque DBS, elles peuvent s’étendre de 19 mois à 26 ans (pour le CNY). 

Approches PPA plus sophistiquées: Les exemples de JPM et DBS

Pour des évaluations plus précises, et une convergence plus rapide, les investisseurs professionnels plus sophistiqués tels que J.P. Morgan et DBS ont affiné l’approche de PPA en vue de déterminer un indicateur plus robuste de la juste valeur des devises.

Pour des meilleurs résultats, il faut tenir compte d’un plus grand nombre de forces influençant les taux de change. Divers facteurs économiques entraînent des déviations systématiques (ou biais) des taux de change par rapport à la PPA et ces biais ne diminuent pas avec le temps. Outre les différentiels d’inflation, il faut complémenter les évaluations par la prise en compte de l’impact des différentiels de productivité et des termes d’échange vis-à-vis des partenaires commerciaux.

Les trois ajustements principaux sont donc les suivants:

  • PPA relative (incluant l’inflation): Le point de départ est le taux de change qui égalisent simplement le prix des biens entre les pays (parité absolue de pouvoir d’achat: La PPA absolue définit un cours de change entre deux monnaies). Les taux de change sont cependant liés aux variations de prix plutôt qu’aux niveaux de prix (la PPA relative mesure la variation de la PPA entre deux périodes). Ainsi, les pays dont les taux d’inflation sont nettement supérieurs devraient subir une dépréciation nominale des devises au fil du temps. On peut encore affiner les ajustements suivant le type d’économie: Pour les marchés développés, J.P. Morgan applique une parité de pouvoir d’achat (PPA) relative, basée sur la moyenne à long terme de la valeur réelle de chaque devise pour les marchés développés en ajustant la juste valeur d’aujourd’hui pour le différentiel de taux d’inflation prévu entre les deux pays. Pour les marchés émergents, J.P. Morgan retient une approche absolue s’appuyant sur les estimations de la PPA pour la consommation individuelle réelle (avec ajustement supplémentaire pour le différentiel de croissance du PIB par habitant).
  • Les différentiels de productivité: Empiriquement, on constate que les pays dont le PIB par habitant est plus élevé ont généralement des monnaies plus fortes que ce que prescrit la PPA. Ainsi, les prix réels et les taux de change réels devraient être systématiquement plus élevés dans les pays dont la productivité réelle est plus élevée. Le déclin à long terme de la productivité européenne par rapport à celle des États-Unis et de la Chine devrait par exemple être prise en compte. Il est possible d’utiliser des données du FMI pour le PIB réel par habitant et les termes d’échange. Mais pour gagner du temps, ces informations ne seraient pas pertinentes à court terme et les rendements obligataires pourraient être considérés comme un instrument de mesure important de la confiance du marché et de l’appétit des investisseurs. En tous les cas, nous déconseillons tout forex à court-terme.
  • Les termes d’échange: La substituabilité imparfaite des biens échangés peut conduire à des divergences importantes dans les termes de l’échange nominaux des pays (c’est-à-dire les prix relatifs des exportations par rapport aux importations). Ces divergences ont un impact sur les taux de change d’équilibre par le biais des effets de richesse.  Par exemple, les booms des prix matières premières ont été accompagnés par la force de la monnaie des pays exportateurs.

Autres éléments structurels à prendre en compte dans l’analyse des devises

Au-delà de ces ajustements, un contexte d’incertitude généralisée, par exemple lié à l’épidémie de COVID-19 ou à la crise ukrainienne, peut également mener à des situations particulières:  Les valeurs refuges USD et CHF donnent ainsi lieu à des valorisations élevées.

A l’inverse, des événements sismiques sur le marché peuvent également faire dévier exagérément des devises de leur juste valeur. Pour la livre sterling, le Brexit et les risques associés ont rendu difficile le retour à la juste valeur. De même, les mesures monétaires extrêmes au Japon ont également supprimé la convergence à la hausse attendue pour le yen.

Comme aucune stratégie à long terme ne peut anticiper une baisse soudaine et brutale des termes d’échange ou une secousse politique, une flexibilité de positionnement en réponse aux chocs imprévus du marché est nécessaire.

Résultats de l’approche retenue pour l’investisseur privé

L’approche retenue pour l’investisseur privé en global-macro utilise une PPA relative incluant des ajustements pour les facteurs principaux sur les bases théoriques du CFA Institute et les vues de la pratique de DBS et de JPM.

Sans faire tous les calculs soi-même, on peut reprendre des sources d’analyses solides à un rythme trimestriel. Sur cette base, on peut classer les monnaies en fonction de leurs valorisations. La stratégie consiste alors à privilégier les marchés d’actions attractifs basés sur des devises dont la valorisation est inférieure à la valorisation médiane relative (avec prise en compte de la valorisation des actions et de l’intégralité du portefeuille). On peut ensuite se concentrer sur les devises dont le cours est le plus bas par rapport à sa juste valeur. Selon un rapport de DBS, on retiendra la situation suivante

Sous-évaluation en (juillet 2022):

– JPY (s’est déprécié pour atteindre son plus faible niveau depuis 1998)

– GBP (pourrait avoir atteint son niveau le plus bas, mais n’est pas prêt à faire un bond) 

– CAD dans une moindre mesure, tout comme le CNY (dont la vitesse de convergence est très lente)

Surévaluation:

  • l’USD et le CHF
  • En Asie, les devises telles que que PHP, THB et INR considérées comme chères par rapport au dollar en août 2021 se sont affaiblies suite à la crise ukrainienne.

En pratique

Cette revue forex, basé sur des sources solides, pourrait s’effectuer une fois par trimestre afin de profiter de données solides et de ne pas perdre trop de temps à analyser les devises. Elle est utile à l’investisseur privé qui recherche à constituer progressivement un portefeuille mondial sur la base de de constituants géographiques distincts (voir aussi notre approche recommandée) au lieu d’un seul fonds international. L’objectif reste de couvrir les actifs en actions du monde, mais de profiter de sous-évaluation et de points d’entrée non-spéculatifs.

Rappelons que cette approche n’est qu’une des nombreuses trajectoires possibles dans l’univers forex. L’objectif n’est pas de spéculer en devises mais de permettre de sélectionner des sous-valuations flagrantes liées avec des bons points d’entrées pour des investissements diversifiés dans des marchés non surreprésenté dans un portefeuille.

L’investisseur global macro privé pourra également récolter des informations précieuses afin de construire un portefeuille d’ETFs basés sur des points d’entrées forex judicieux, tout en considérant le niveau de valorisation des actions sur ces marchés: Par exemple, le marché japonais a vu ses valorisations forex baisser alors que sa bourse (P/E de 12.4 au 30.6.2022)  a bien résisté; contrairement au Royaume-Uni dont les les actions (P/E de 7.3 au 30.6.2022) et le forex ont toutes deux baissés.

Sources:

DBS, fx-strategy, 6.2022
DBS, Group Research - Econs, Chang Wei Liang, 7.2021 and 5.2020
DBS, Equilibrium Exchange Rates: Concept & Strategy, insights FX, 1.2020
JP Morgan Asset Management currency assumptions, 2020
DBS, The DEER guide to long-term FX positioning, DBS Focus , 5.2020
DBS, Currency fair values: What's cheap and what's DEER, 8.1.2020